samedi, novembre 18, 2006

Petit guide des volcans d'Amérique (1re partie)

Je présente en trois blogues le poème de Rosalie Lessard "Petit guide des volcans d'Amérique". Ce poème lui a valu en 2006 le Prix littéraire de Radio-Canada, volet poésie. Aujourd'hui, je publie la 1re partie de son poème. Lire ci-dessous les deux autres parties. Rosalie sera présente au Salon du livre de Montréal. Voir l'encadré ci-haut.

elisa capitale

« Ensuite jaillirent des pierres et des roches en partie intactes, que le souffle avait expulsé avant leur combustion, en partie rongées et ayant acquis la légèreté de la ponce. En dernier lieu, jaillit le sommet de la montagne brûlée. Ensuite sa hauteur s’accrut et ce roc grandit jusqu’à devenir aussi étendu qu’une île. » Sénèque

« Qu’est-ce que ce monde où les objets ont plus d’espoir que chacun de nous ? »
Wajdi Mouawad


ici vendent l’eau de pluie
arbres et reins
tout doit partir

elisa capitale en marche soif sept ans
jamais n’interroge les nuages
pour ne pas appâter la pluie
avec la pluie la facture tout doit partir

les ondes colportent des ombres
le nord hante la radio elisa capitale
la voix porte rivières et lacs
chaque mot se dépose dans un sursaut d’abandon
les syllabes rondelettes chantent sans hâte

à l’école on apprend au petit frère
le nom des eaux
ainsi au loin la mer morte comme ici

où dormir où boire où manger où s’infecter
elisa rapièce les estomacs
tant mal que bien
rapièce le courage en loques
rapièce les loques rapièce les siens

elisa possède un arbre et un grand-père
qui regarde les rares feuilles soupirer
d’une berceuse maudit le champ asséché
la terre à rides
chique crache râle
l’effarante espérance
une respiration de plus

on parle de déplacer
un glacier millénaire
tout doit partir
ici trouent la montagne
convoitent or et fer
et le désert sa présence régnante oblitère le regard
quelle eau viendra irriguer le raisin la prunelle
le glacier déménagé
qui boira quoi boire à qui

le père travaille à l’usine
ici moulent arrosoirs et verres vases de plastique
le nord réclame
quelle beauté

elisa capitale ténue fait taire le plus plaintif des frères
fait fête au soleil
les jours de grisaille
lorsqu’elle s’ennuie
dans la cuisine raconte au chien
errant l’histoire d’un marin
errant qui cherche son île
perdue

son amie imaginaire porte des boucles d’oreille
avec des pierres qu’on dit solitaires
elle s’appelle tout autrement
Sharon ou Émilie
sa chambre est rose jaune mauve
pleine de caches couleurs
et de portes ouvertes sur les grandes surfaces
chaque fois qu’elle le désire
elle feuillette sa vie sept ans dix tomes
d’album photos
quelqu’un a pensé à elle
qui peut retracer
l’oublié

à l’école on apprend au petit frère
d’elisa les vers étrangers
ainsi au loin les enfants demandent de la poudre et des balles comme ici
fine fine poudre précieuse

la radio elisa capitale raconte des femmes
traversée
défie la nuit défie la frontière
un voyage de fortune
de l’usine aux baraques
plus aucune nouvelle
que le corps aux abords du désert
oasis fauché
tout doit partir
elisa n’écoute pas elle vit

achetez et obtenez
un génie d’une bouteille saura-t-il apparaître
à temps quel temps celui des meilleurs prix
n’attendez pas nous avons tout
vous ne payez absolument rien
un génie ou une fée
fée des rêves tombés placés sous l’oreiller
saurons-nous apparaître à temps
quel temps celui des prix d’ami

le soir de passage l’oncle dévore la jupe
d’elisa le regard inocule cendres et magma
n’attendez pas
personne ne parle
la blinder de silence
trop peur de réveiller
achetez et obtenez
ça qui hésite encore
ça qui l’évite encore
de justesse histoire d’ogre vous ne paierez absolument rien
elisa ne voit pas elle vit
tout doit partir

où nourrir ses tumeurs
où prendre peur où s’infecter où pourrir
le soir le grand-père regarde elisa et murmure sans douceur
ta mère morte en couches accouche dans le désert où donc est l’hôpital parti
avec la pluie la facture ont dit
compagnies qui font le tour du monde comme on saute au trapèze
sans filet et c’est tout tout fini ici carburent au défi

ici vendent carrés de sable où enfouir corps
poussière de terre qu’à peine concèdent
amortir le ressac du mari des enfants indignés
défier
tout doit partir délavé
sans qu’on l’ait remarquée usine désaffectée au cœur de la ville elisa capitale

les jours de marché elisa retient son souffle
espère toujours cette économie peut-être vaudra un petit morceau de viande
au moins un fruit qu’est-ce que c’est qu’un fruit contre un souffle
les jours de grand vent elle respire bien mieux
très profondément tout aspirer l’air d’une vie de poumon en une seconde
gonflés les yeux lévitent montgolfières
elisa vole
plus de viande ou de fruit
les jours de grand vent

la nuit sent bon au grand lit quatre enfants
les cheveux du petit frère chatouillent le nez
elisa pouffe se tortille repose rit
rien n’arrive
quelle beauté

ici ils tiennent bon minables érodés sans mère sans maison sans parade
forcenés