jeudi, novembre 16, 2006

Petit guide des volcans d'Amérique (3e partie)

Je présente en trois blogues le poème de Rosalie Lessard "Petit guide des volcans d'Amérique". Ce poème lui a valu en 2006 le Prix littéraire de Radio-Canada, volet poésie. Aujourd'hui, je publie la 3e partie de son poème. Rosalie sera présente au Salon du livre de Montréal. Voir l'encadré ci-haut.


le ciel se soucie peu de ceux qu’il couve

« Après une éruption, le soleil pourpre disparaît à l’horizon dans la poussière moirée tout d’abord violette, puis jaune et enfin orange; le ciel rougeoie encore longtemps après que le soleil s’est couché. »

« Les cratères eux aussi attendent nids vidés. »


quand partir comment partir

la maison le rang le village
désert
on a soigneusement disposé
en ville les vivants les vieillards
à la traîne

le ciel se soucie peu de ceux qu’il couve

lucienne parle un à un
tombés du fantôme au dernier voisin
personne n’est venu qui reste-t-il

lucienne dans sa dernière dépendance
chambre parmi les chambres
camp ici on empaille la mémoire

derrière elle les objets qui rappellent le passé
elle a dû se défaire
sa vie d’avant
la vaisselle les berceuses au dépotoir les brèches qui pourrait bien
en vouloir
quel musée de l’intime

la maison respire même vide
même sans elle la grange le râle des bêtes
en rêve elle fait du pain
à l’étage les enfants naissent les briques brûlent les pieds
le ruisseau glousse
le goût du dénuement tient la bride
du temps

usés à la corde
comme les habits
de frère en frère passés
les vieux gestes reviennent
en rêve lucienne met la table
sert et décharge douze regards en bataille

on a coupé court
défriché les cercles de feu
on regarde la fumée
se dissiper
on frissonne seul enflammé

quand je cesse de m’appartenir
œil os rêves font sans moi

perd l’ouïe perd la vue perd l’envie
mais la parole dure
et grince
s’ils retirent village du dictionnaire
quel mot trouvera-t-on pour se souvenir de moi

j’ai vécu trop vite et je ne meurs plus
sur le bas-côté fallait-il accorder
le temps qu’il faut au cœur
pour s’épuiser

l’espace mort avant elle
qui donc voudrait survivre
au paysage
quelle drôle d’idée

par la fenêtre
les clôtures se déglinguent à la lisière et l’amour même disparu
le fantôme se lève tôt
redresser le cadre et nourrir les bêtes
domestiquer le champ gelé
le fantôme porte tous les âges dépareillés
une cigarette veste bottes et casquette contre les grands froids
lucienne le trouve beau ses caresses se font plus pressantes depuis qu’il est mort

chaque soir lucienne confronte le fantôme
qui s’époumone à disparaître
elle lui parle des enfants
tous élevés pourrais-je maintenant m’affaisser
me déprendre
quand partir comment partir

elle raconte les voyages de ses fils
de ses filles les vacances le parcours des petits-enfants
de la ville à la grand ville tant d’autoroutes elle tremble
reprise repasse les itinéraires
colibri
en un éclair tant de terre parcourue
et dire qu’elle n’a quitté le rang
qu’une fois pour le village sa chambre d’hiver

lucienne tricote chausser le pas
de ceux qui à peine debout
courent s’effondrer
sur le bas-côté

je lisais soixante ans oublieuse de cancer du fantôme l’évasion véranda et la chienne a fugué
je n’ai rien entendu le poids lourd les roues le klaxon
mais le cri
je lisais trente ans nous avions donné quelques sous à céline cinq cents pour cinq ans quelques sous qu’elle s’achète donc des friandises au dépanneur en face au coin tout près nous la guettions du coin de l’œil je lisais au moment de traverser en face au coin tout près c’est au retour le carrefour le poids lourd en boisson
je lisais pas eu le temps mais le cri et céline a roulé
passé repassé le poids lourd d’un éclat de cervelle
sur la route trente ans
et la chienne a roulé
en boule soixante ans
sur le bas-côté
je lisais
pourquoi ai-je vécu à côté de la grand route
la seule beauté mon enfant sur le bas-côté

tout gagner tout perdre dans un sursaut
je ne me suis pas ménagée
comme le reste
compté comptabilisé pour que rien ne manque
à la boucle du mois
pour ceux qui résistent

quand partir comment partir

sa vie déborde
lucienne découpe l’excédent de souvenirs
plus de place pour rien au monde
que l’enfant perdue
il y a si longtemps
la maison le rang le village
désert
où partir du côté ivre des chambres de jeunesse quelle caravane de poids lourds
elle raconte le voyage de ses fils le parcours
où partir

Le Père Noël au pays de la lecture

Par Jacques Rancourt
10e péripétie de la saga humoristique pour adultes avertis
Sommaire des autres péripéties


10e rappel : Toute ressemblance avec le vrai Père Noël est le fruit de votre imagination. S'ouvre à Montréal le salon du livre. Quelle belle occasion de faire oeuvre utile et parler de lecture pour faire oublier que je suis une ordure au service du dieu argent. Comme vous le constatez, j'essaie de me refaire une certaine virginité, mais c'est du travail...

Le Père Noël au pays de la lecture

Je suis le Père Noël
Je suis une ordure qui veut développer la culture
Je vous amène au merveilleux pays de la lecture
Je veux vous éloigner de mon royaume de bébelles

Je sais que la lecture est un problème de société
Je vois peu d’adultes lire pour le plaisir
J’aimerais les voir arriver au travail avec un livre
Je déplore que la lecture ne soit pas privilégiée

Je sais que la lecture est un problème pédagogique
Je sais qu’enseigner à lire a une valeur inestimable
Je sais que c’est un privilège, une responsabilité, une mission
Je rêve du jour où on fera lire beaucoup et souvent

Je sais que la lecture est un problème individuel
Je veux que l’on fasse rêver les jeunes par la lecture
Je veux que l’on fasse rire les jeunes par la lecture
Je veux que l’on fasse découvrir le monde par la lecture

Je veux qu’on leur fasse découvrir des univers infinis
Je veux qu’on arrête de faire lire par devoir
Je veux qu’on leur fasse découvrir des millions d’expériences
Je veux qu’on les fasse participer à une sorte d’éternité

Je me suis égaré en route au pays de la lecture
Je ne sais pas ce que je fais là
Je suis le Père Noël
Je veux vous donner en cadeau le goût de la lecture